La Sainte Epine

Prix nouvelle Rouerg'Arte

Premier prix de la nouvelle Rouerg’Arte  .   Extrait

 

Lorsque le curé alla chercher la Sainte Épine dans le reliquaire, il fut accueilli par un vide éloquent. Elle avait disparu. Pourtant, la porte n’avait pas été fracturée. Aucune autre ouverture ne permettait à la lumière du jour de rentrer dans cette pièce borgne. Nul indice ne laissait à penser que quelqu’un d’autre s’était introduit avant l’abbé Michel. Celui-ci, devant l’intensité du désastre, ne pouvait se résoudre à annoncer à ses paroissiens, et aux nombreux visiteurs attendus, l’annulation de la procession, faute de trésor. Prostré, assis sur la seule chaise, il attendait un miracle qui, décidément, ne venait pas. Il pria tous les saints des environs, mais aucun ne répondit à son appel. Il se sentait abandonné même par son Dieu. Il s’interrogeait sur ses péchés, mais n’en trouvait aucun qui pouvait correspondre à une sanction aussi terrible.

 

Joachim, son enfant de chœur préféré, rentra dans la salle.

— Monsieur le curé. Les gens s’impatientent dehors, il faut y aller.

Le religieux s’affaissa d’avantage sur son siège, les mains enfouies dans son visage.

— Mais qu’avez-vous ?

D’un signe de tête, le prêtre désigna la vitrine vide.

— Tu vois bien. L’Épine a disparu !

— Ce n’est pas possible. Tout le monde l’attend dehors.

Les yeux du garçon étaient aussi exorbités que ceux du portrait posé sur un des murs de pierre.

— Il faut tout arrêter. La procession et le grand repas. Tout.

L’adolescent était connu pour être aussi malicieux que dévoué à son maître. Des rides taquines envahirent un front large et intelligent.

— J’ai une idée. Recouvrons le reliquaire du velours rouge qui l’enveloppe. Personne ne verra rien.

Les traits du curé se détendirent avant de reprendre leur aspect misérable.

— Mais tout le monde va s’en étonner ; certains demanderont même à soulever le tissu.

Le cerveau juvénile travaillait à grande vitesse. Ses yeux devinrent aussi brillants que les pierres qui décoraient la châsse.

— Vous n’avez qu’à dire que c’est un ordre de l’évêché, afin de protéger les reliques des effets de la lumière.

Une légère éclaircie surgit dans le crâne de l’abbé. Celle-ci s’élargit pour devenir une véritable aurore boréale qui illumina toute la pièce.

— Joachim, tu es génial. Place le coffret sur le panneau et recouvre-le du velours. On y va.

 

La procession se déroula sans encombre, à part un petit incident qui fit battre le cœur du prêtre au-delà des limites raisonnables. Un des porteurs trébucha, le voile bougea légèrement et découvrit une partie du reliquaire. Heureusement, personne ne s’aperçut de l’apparence de vide, hormis les deux protagonistes de la supercherie. La châsse fut très vite rapatriée dans son local, dès la marche terminée. Le père Michel put ainsi rejoindre le banquet, l’esprit tranquille, du moins en apparence. Deux interrogations le rongeaient : qui avait bien pu dérober la Sainte Épine et quel châtiment céleste allait-il subir, lui, pour son forfait ? Aussi, l’ecclésiastique abusa du vin pendant le déjeuner, au point de se confier au maire de Sainte-Eulalie-d’Olt, assis à côté de lui. Pierre Boudou l’écouta, interloqué. L’affaire était grave. Très grave. Si l’on apprenait la vérité, la réputation d’un des plus beaux villages de France allait atteindre les bas-fonds médiatiques. Les subventions se tariraient et le premier magistrat pourrait même perdre les prochaines élections. Il fallait œuvrer en toute discrétion. On demanda à Joachim de se taire avant qu’il n’ébruite partout la nouvelle. On le menaça même d’excommunication. On rajouta toutefois un petit pécule de peur que la menace d’un châtiment divin ne soit pas assez puissante pour acheter son silence.

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